Le 23 janvier 2021, les corps calcinés de 19 migrants centraméricains ont été retrouvés dans l’Etat de Tamaulipas, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Plusieurs semaines d’enquête judiciaire ont révélé l’implication de policiers et de fonctionnaires locaux dans le massacre.
Deux Mexicains et 16 Guatémaltèques se trouvaient parmi les victimes identifiées du massacre perpétré aux abords de la municipalité de Camargo, dans l’État de Tamaulipas. La plupart de ces migrants, âgés de 18 à 24 ans, étaient originaires de Comitancillo, localité rurale du nord-est du Guatemala, qui regroupe une communauté d’indigènes maya-mam. Les corps des victimes ont été rapatriés vers leur pays d’origine le 12 mars ; une cérémonie d’hommage s’est déroulée sur le tarmac de l’aéroport en présence du président guatémaltèque, Alejandro Giammattei, qui a déclaré à cette occasion qu’une enquête serait menée « quoi qu’il en coûte » pour retrouver les coupables.
Après l’ouverture d’une première enquête, le 24 janvier, le procureur de l’État de Tamaulipas annonçait dix jours plus tard l’arrestation de 12 policiers locaux (policías estatales), inculpés pour « meurtre aggravé, abus d’autorité, faux et usage de faux » en raison de leur implication dans l’exécution des migrants, dont les corps ont été criblés de balles avant d’être calcinés. Parallèlement, l’Institut national de la migration (Instituto Nacional de Migración, INM) émettait un communiqué annonçant le limogeage de huit de ses fonctionnaires pour manquement « aux procédures administratives et aux protocoles établis par la loi de Migration » – sans toutefois préciser les noms ni les rangs des agents impliqués –, après que l’enquête eut révélé que les victimes avaient été brûlées dans un pick-up enregistré auprès des agents de migration de l’État de Nuevo León. Le sénateur guatémaltèque Carlos Barreda, qui s’est rendu au Mexique pour suivre les avancées de la justice, a déclaré au journal El País que les policiers « avaient confessé avoir tué les migrants, mais non les avoir calcinés et démembrés », ce qui suggère l’intervention tierce d’un groupe criminel dans le massacre.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle violence meurtrière vise des migrants centraméricains dans la région. Entre 2010 et 2011, 265 migrants furent massacrés à San Fernando, dans l’État de Tamaulipas ; 49 personnes furent par la suite assassinées à Cadereyta, dans l’État de Nuevo León, en 2012. Ces crimes, perpétrés par le cartel des Zetas, ont bénéficié de la plus grande impunité, ne faisant l’objet d’aucune enquête sérieuse de la part des autorités locales ou fédérales.
En effet, il existe une véritable économie de la violence à l’encontre des migrants irréguliers en transit vers la frontère états-unienne : ceux-ci constituent une source de profits considérable pour les narcotrafiquants, qui contrôlent les réseaux de passeurs et organisent l’extorsion, les enlèvements et la traite d’une partie d’entre eux, notamment des femmes. Le cartel du Nord-Est et celui du Golfe, qui se disputent le contrôle de la zone frontalière entre les États de Tamaulipas et de Nuevo León, les prennent régulièrement pour cible afin de porter atteinte aux affaires de leurs rivaux. Dernièrement, les migrants ont été d’autant plus vulnérabilisés par la politique de l’administration Trump, qui a externalisé la frontière états-unienne en forçant le Mexique à recevoir les personnes demandant l’asile aux États-Unis durant l’instruction de leur dossier. Cette politique a contraint les exilés à de longs mois d’attente dans quelques-unes des zones les plus dangereuses du Mexique ; bien souvent, dans des conditions de précarité extrême, comme le suggèrent les images du camp de Matamoros [1].
En outre, ces actes d’une extrême brutalité sont rendus possibles grâce à la connivence entre les autorités mexicaines et le crime organisé. La tuerie du 23 janvier démontre une fois encore que les prévarications concernent tous les échelons des forces de l’ordre, des agents de police locaux aux fonctionnaires de la migration. Ana Lorena Delgadillo Pérez, directrice de la Fondation pour la justice et l’État démocratique de droit, souligne en particulier que « le niveau de complicités et de corruption au sein de l’Institut national de la migration est très préoccupant ». Ce constat avait déjà été dressé par le sociologue Jorge Bustamante, rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits des migrants entre 2005 et 2011.
Plus récemment, une série de quinze rapports remis à l’Órgano Interno de Control – chargé de détecter et de sanctionner les actes de corruption publique – révèle les irrégularités, les carences et les abus dont s’est rendu coupable l’INM sous la présidence d’Enrique Peña Nieto (2012-2018). Les ONG ont notamment épinglé l’institution sur sa gestion des centres d’accueil et de traitement administratif des migrants : surpeuplement, insalubrité, carence de soins médicaux, détournements de fonds publics et harcèlement sexuel sont autant de motifs accablants retenus contre l’organe gouvernemental par les défenseurs des droits humains.
À ce jour, il n’existe pas de travaux statistiques officiels et systématiques documentant les crimes perpétrés à l’encontre des migrants sur le territoire mexicain, ce qui rend difficile la mise en œuvre de toute politique de prévention, de protection et d’investigation approfondie. Le sociologue Argán Aragón évoque quelque 5 287 corps de migrants retrouvés dans les villes et les abords de la frontière, entre 2002 et 2011. Il souligne qu’il est « impossible de savoir combien de migrants sont tués pendant leur traversée, mais [qu’il est certain] que ce nombre suit la tendance vertigineuse des meurtres liés au crime organisé au Mexique, qui entre 2006 et 2013, ont dépassé les 120 000 morts » (Aragón, 2014) .